Transférer le siège d’une entreprise dans un autre État : quels impacts juridiques et fiscaux ?

Le transfert du siège social d’une entreprise est une opération complexe. Une analyse précise et globale des impacts juridiques et fiscaux dans les pays de départ et d’arrivée est essentielle pour arriver à franchir sans dégâts cette étape aux enjeux stratégiques.

Transfert de siège social ou siège de direction effective

La notion de « transfert de siège » n’est pas réellement définie. Il s’agit du transfert du siège social ou bien du siège de direction effective d’une société française vers un État étranger.

En pratique, les deux notions se recoupent la plupart du temps puisqu’il s’agit du lieu où se trouvent les fonctions dirigeantes, où sont prises les décisions stratégiques et donc du lieu où est exercée l’activité. Toutefois, il peut exister des cas où le siège social statutaire est à un endroit pendant que le siège social réel ou le siège de direction effective se trouve à un autre endroit. L’administration recherchera dans tous les cas la notion d’entreprise exploitée en France au sens de l’article 209 du CGI.

Enjeux

En France, le transfert de siège réel ou de direction effective emportent les mêmes conséquences fiscales (CGI, art. 221, 2) s’ils sont accompagnés du transfert d’un ou plusieurs éléments de l’actif immobilisé (indice d’exercice d’une activité).

 

PAYS DE DEPART : FRANCE

En matière d’impôt sur les sociétés

Texte : article 221 du Code général des impôts

Le transfert du siège social ou d’un établissement d’une société passible de l’impôt sur les sociétés vers un État membre de l’Union européenne (UE) ou vers un État partie à l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement (Norvège ou Islande) et accompagné du transfert d’éléments d’actif, entraîne l’imposition des plus-values latentes et des plus-values en report ou sursis d’imposition constatées sur les éléments d’actif immobilisé transférés. 

En matière de droits d’enregistrement

Le transfert international du siège social peut entraîner la création d’une personne morale nouvelle en raison du changement de nationalité de la société (la nationalité d’une société est déterminée par la situation de son siège).

adm. 7 H-3424 n° 2, 1-9-1999 ; BOI-ENR-AVS-20-30-20 n° 300, 12-9-2012

Cette opération entraine donc la dissolution de la société ancienne et la constitution d’une nouvelle société. De fait, l’opération est soumise aux droits d’enregistrement en France.

Toutefois, pour éviter le risque de double imposition qui résulterait de l’existence, dans les autres États membres, d’un impôt frappant les apports en espèces ou en nature consentis aux sociétés de capitaux, l’article 808 A, I du CGI permet de corriger la règle interne de territorialité pour les sociétés de capitaux. Dans ce cas – et bien entendu sous réserve des conventions internationales -, la France renonce à percevoir le droit :

adm. 7 H-3424 n° 6, 1-9-1999 ; BOI-ENR-AVS-20-30-20 n° 340, 12-9-2012

Rappelons aussi que l’article L.225-97 du Code de commerce (français) prévoit que les sociétés par actions peuvent changer de nationalité sans donner naissance à une société nouvelle à condition que le pays d’accueil ait conclu avec la France une convention spéciale permettant d’acquérir sa nationalité en conservant à la société sa personnalité juridique.

adm. 7 H-3424 n° 4, 1-9-1999 ; BOI-ENR-AVS-20-30-20 n° 320, 12-9-2012

 

PAYS D’ARRIVEE : au sein de l’UE

Il convient d’appliquer le droit interne de chaque État mais également les dispositions fiscales des conventions en vigueur avec certains États le cas échéant.

Il est donc essentiel d’anticiper et de s’informer sur la loi du nouveau pays de domiciliation de la société pour vérifier si les contraintes législatives ou règlementaires en matière de droit du travail, de droit des sociétés ou en matière de fiscalité ne sont pas une entrave à l’activité sur un nouveau marché.

[jurisprudence]

Dans un cas de transfert de direction effective dans un État de l’UE pendant que la société garde son siège statutaire dans le pays d’origine, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a récemment décidé qu’un État membre de l’UE dans lequel une société transfère son siège de direction effective, peut refuser l’imputation des pertes fiscales subies avant ce transfert dans l’État membre dans lequel la société conserve son siège statutaire.
En l’espèce, une société néerlandaise avait transféré, en 2009, son siège de direction effective et sa résidence fiscale vers la République Tchèque où elle y disposait déjà d’une succursale, tout en conservant son siège statutaire et son inscription au registre du commerce aux Pays-Bas. La société a, par la suite, demandé à l’administration fiscale tchèque la déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés dont elle était redevable au titre de l’exercice 2012 et la perte qu’elle avait subie aux Pays-Bas au titre de l’exercice 2007. Cette déduction lui ayant toutefois été refusée, la société invoque la liberté d’établissement.
La Cour rappelle que la liberté d’établissement ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui exclut la possibilité pour une société qui a transféré son siège de direction effective et, ce faisant, sa résidence fiscale dans cet État membre de faire valoir une perte fiscale subie, préalablement à ce transfert, dans un autre État membre dans lequel elle conserve son siège statutaire.
Le fait que la loi fiscale tchèque exclut la déduction des pertes constituées alors que la société se trouvait sous la compétence d’un autre État membre constitue une restriction à la liberté d’établissement, justifiée cependant par la nécessité, d’une part, de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre États membres et, d’autre part, d’éviter la double déduction des pertes. Au regard d’une telle nécessité, une société ayant transféré son siège de direction effective d’un premier État membre vers le second ne se trouve donc pas dans une situation objectivement comparable à celle d’une société ayant constamment conservé son siège dans le second État.
Référence : CJUE 27 févr. 2020, aff. 405/18

 

CONCLUSION

Le projet de transfert de siège emporte des conséquences très significatives, tant pour la société elle-même, que pour les actionnaires et les salariés (droit fiscal, droit des affaires, droit social). Il s’agit d’une réelle décision stratégique qui peut être essentielle dans le développement de l’entreprise et qui doit faire l’objet d’une analyse fiscale et juridique globale dans les deux pays, de départ et d’arrivée.

De même, si le régime fiscal des transferts décrits dans cet article sont liés aux transferts d’actifs de l’entreprise, il faut prendre garde aux organisations de travail pratiques et économiques de l’entreprise. Par exemple, si des fonctions clefs dirigeantes sont exercées par des mandataires sociaux résidents à l’étranger, cette organisation pourrait entrainer une requalification de transfert du siège effectif de ces sociétés hors de France, et l’application de l’article 221.2 du CGI en France ainsi que des implications fiscales à l’étranger.

Ceci est vrai notamment dans les cas de sociétés par actions simplifiées dont les statuts prévoient que l’unique organe de gestion est le Président, sans comité de direction, conseil de surveillance ou conseil d’administration.

Le transfert de siège social ou de direction effective directe ou même indirecte d’une entreprise vers l’étranger est une situation particulièrement complexe. Le recours à un conseil juridique et fiscal permet d’identifier les contraintes et d’anticiper les risques pour une adaptation optimale de la société dans le pays d’arrivée.

Mots clés : transfert de siège – siège social – IS – droits d’enregistrements

Auteur : Catherine Roussière, avocat à la Cour

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