Les contribuables ne peuvent plus se cacher derrière la bonne application des textes fiscaux lorsqu’ils ont réalisé un montage abusif.
Dans un arrêt du 28 octobre 2020 (CE, Ass. 28 oct. 2020, n° 428048), le Conseil d’État juge, pour la première fois, que le contribuable qui s’est rendu coupable d’un abus de droit objectivement démontré par l’administration fiscale, ne peut pas se prévaloir des textes fiscaux à l’appui desquels il a réalisé son montage abusif.
Contexte
L’administration interprète la loi dans ses instructions (notamment) en y décrivant les modalités d’application. Lorsque la doctrine administrative donne une interprétation d’une disposition légale dont les contribuables ont intérêt à se prévaloir, ou lorsque l’administration apprécie favorablement la situation fiscale d’un contribuable au regard des textes, il est nécessaire que cette interprétation soit juridiquement opposable à l’administration si cette dernière souhaite changer de cap.
C’est pourquoi, l’article L 80 du livre des procédures fiscales (LPF) institue un mécanisme de protection au profit du contribuable qui lui permet d’éviter le redressement s’il a respecté et effectué une correcte application de l’interprétation que l’administration faisait de la loi dans ses instructions notamment.
La question
Le Conseil d’État répond à la question suivante : l’administration peut-elle reprocher à un contribuable d’avoir commis un abus de droit, alors qu’il s’est conformé aux termes mêmes d’une instruction administrative (plus favorable au cas présent) que la loi fiscale ?
On rappelle que la procédure d’abus de droit permet à l’administration de s’opposer aux actes du contribuable si ces derniers ont eu :
- pour motif exclusif (LPF, art. L 64), d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales, soit par le biais d’un schéma fictif (abus de droit par simulation), soit par le biais d’une application littérale des textes ou décisions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (fraude à la loi) ;
- ou, depuis 2020, pour motif principal (LPF, art. L 64 A), d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales par le biais d’une application littérale des textes ou décisions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (fraude à la loi) ;
Que s’est-il passé dans cette affaire ?
À l’époque des faits, les dirigeants de PME partant à la retraite pouvaient bénéficier de l’abattement pour durée de détention sur la plus-value de cession de titres, s’ils ne détenaient, à la date de la cession et pendant les trois années suivantes, aucune participation dans la société cessionnaire. Une tolérance administrative admettait toutefois que le dirigeant puisse détenir une participation maximum de 1 % dans le capital de la société cessionnaire.
M. A., l’un des dirigeants, souhaitait bénéficier de ces dispositions dans le cadre de son départ en retraite.
- en mars 2010, M. A. avait acquis 1,053 % du capital de la société Balmain ;
- en mai 2010, il cède 4 000 actions Balmain à une SCI appartenant à de proches collaborateurs, faisant ainsi tomber sa participation dans Balmain à moins de 1% du capital ;
- le lendemain de cette opération, il cède 100 % des actions de sa société, la SAS Marie Clémence, à la société Balmain en franchise d’imposition compte-tenu de l’application sur la plus-value de cession de l’abattement pour durée de détention au taux de 100 % ;
- trois ans plus tard, le contribuable rachète pour un prix symbolique la totalité des parts de la SCI qui détenaient toujours les actions Balmain et de la SAS Marie Clémence.
L’administration avait relevé que la cession d’une fraction des titres la société Balmain à une société tierce (SCI) avait pour seul objet de permettre au contribuable de détenir à la date de la cession de sa société moins de 1 % du capital de la société cessionnaire et de bénéficier des avantages prévus pour les textes, compte tenu du retour actionnarial qui a suivi. L’administration avait remis en cause le bénéfice de l’abattement pour durée de détention sur le terrain de l’abus de droit fiscal par fraude à la loi.
Coup d’arrêt
Pour la première fois, le Conseil d’État décide que lorsque l’administration fiscale démontre un abus de droit pour fraude à la loi, le contribuable ne peut lui opposer la garantie de l’article L. 80 A du LPF contre les changements de doctrine. Autrement dit, le contribuable ne peut lui opposer la bonne application de ses instructions.
Conclusion
La procédure d’abus de droit a des contours de plus en plus flous depuis l’article L. 64 A du LPF permettant une mise en œuvre plus aisée par l’administration. Y compris pour les petits contribuables, les dirigeants et les PME.
En conséquence, plus que jamais, consultez un avocat fiscaliste sur vos schémas !
Vous pouvez, par simple maladresse, vous rendre coupable d’un abus de droit, dont on rappelle ici les sanctions :
- application de l’intérêt de retard ;
- en cas d’application de l’article L 64 du LPF (actes fictifs ou à but exclusivement fiscal), une majoration égale à 40 % des droits mis à la charge du contribuable qui est portée à 80 % lorsqu’il est établi que celui-ci a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire.
Cette majoration ne joue pas lorsque l’administration écarte, sur le terrain de l’article L 64 A, un acte accompli en fraude à la loi dans un but principalement fiscal, mais les pénalités de droit commun pour insuffisance de déclaration restent encourues (BOI-CF-IOR-30-20 n° 130).
Consulter la décision du Conseil d’État dans son intégralité : CE 28 octobre 2020, n° 428048
Mots clés : abus de droit – contrôle fiscal – LPF
Auteur : Catherine Roussière, Avocat à la Cour