Dans sa formation plénière, le Conseil d’État adopte une définition élargie de l’établissement stable en décidant que doit être regardée comme tel une société française qui exerce « de manière habituelle » pour sa maison sœur implantée en Irlande, des pouvoirs permettant d’engager cette dernière dans des relations commerciales.
L’essentiel
Une fois encore, une société d’un groupe peut constituer un établissement stable d’une entité étrangère.
Les juges français mènent désormais une véritable analyse économique et fonctionnelle de l’activité pour déterminer ou non la présence d’un établissement stable.
Comme le propose le rapporteur public dans ses conclusions sous l’arrêt (lien cf.infra), les contrats « trop larges » dans leur rédaction des fonctions dédiées à une des parties pourraient constituer un indice fort de l’inactivité de l’autre partie (ici l’entièreté de l’activité de marketing digital est en fait réalisée en France).
Le Conseil d’Etat s’appuie sur des commentaires OCDE postérieurs à la Convention applicable au cas présent. La France s’approprie désormais la définition extensive et plus large de la notion d’établissement stable telle que proposée par l’article 12 de l’Instrument Multilatéral de l’OCDE (agent économique dépendant).
Contexte
Une société irlandaise spécialisée dans le marketing digital en Europe, signe avec une société sœur du même groupe située en France, un contrat de services par lequel la société française fournit à la société irlandaise des services de représentation marketing. Ces services consistent à identifier et prospecter des clients potentiels pour la société irlandaise. La société française est rémunérée « cost+8% » pour ses services rendus.
À la suite d’une vérification de comptabilité de la société française, l’administration fiscale française considère que la société irlandaise exerce en réalité son activité en France par l’intermédiaire d’une structure logée au sein de la société sœur, masquant l’exercice réel de son activité occulte.
L’administration soutient que les salariés de la société française ont le pouvoir de négocier et de conclure les contrats en lieu et place de la société irlandaise, alors que la société française aurait dû se cantonner à démarcher les clients.
La société irlandaise est ainsi redressée au titre de l’impôt sur les sociétés (IS) sur le chiffre d’affaires généré par la société française et remonté en Irlande sur les années contrôlées, ainsi qu’au titre de la TVA correspondante.
S’en suit un contentieux entre la société Irlandaise et l’administration fiscale française. La cour administrative d’appel de Paris prononce la décharge en faveur de la société irlandaise. L’administration fiscale fait alors appel de la décision devant le Conseil d’État.
Décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État reconnait que la société française est bien un agent économique dépendant de la société irlandaise puisqu’elle exerce habituellement des pouvoirs permettant d’engager la société irlandaise dans des relations commerciales.
En effet, si la société irlandaise fixe bien le modèle des contrats conclus, ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l’ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent en réalité des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique.
Le Conseil d’État arrive à cette analyse en s’appuyant sur les commentaires OCDE relatifs à l’établissement stable issus des récents travaux de la convention multilatérale, et postérieurs à la convention Franco-Irlandaise.
« Pour avoir un établissement stable en France (au sens des stipulations citées ci-dessus) une société résidente d’Irlande doit soit disposer d’une installation fixe d’affaires […], soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l’engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d’ailleurs qu’il résulte des paragraphes 32.1 et 33 (relatifs à l’article 5, 5°) des commentaires au modèle de convention établi par l’OCDE publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l’engagent ».
Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris.
Attention !
Il s’agit ici d’une décision française, mais la notion d’établissement stable est partagée par l’ensemble des États membres de l’OCDE. Toutefois, contrairement à la France, un certain nombre d’États ont émis des réserves sur cette définition extensive issue de la convention multilatérale OCDE.
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Consulter la décision du Conseil d’État ainsi que les conclusion du rapporteur public :
- CE, Plénière, 11 déc. 2020, n°420174, Ministre c/ Société Conversant International Limited
- Conclusions de Laurent Cytermann, rapporteur public.
Mots clés : contrôle fiscal, redressement, établissement stable, IS, TVA, marketing digital
Auteur : Catherine Roussière, Avocat à la Cour