Dans le cadre de vos conseils, prêtez-vous attention au taux d’intérêts d’emprunt intragroupe pratiqués par vos clients ? Par exemple, lorsqu’un financement intragroupe a été mis en place dans le cadre ou à la suite d’un LBO. À défaut, vous pourriez potentiellement être concerné par le schéma abusif.
L’article 212 I A du CGI prévoit une limite de déductibilité au taux d’intérêt d’emprunt entre sociétés liées (i.e. d’un même groupe) par référence aux taux de marché.
Cette disposition a pour but d’éviter qu’une société n’emprunte à une autre société du même groupe, à des taux plus élevés que ceux qui lui aurait été proposés par le marché bancaire, lui permettant d’alourdir ses charges déductibles et abusivement diminuer son impôt.
Il s’agit donc d’une mesure anti-abus qui existait déjà avant la récente réforme de l’article 212 BIS du CGI (régime de déductibilité des charges financières – Loi de finances 2019). Cette mesure n’a pas été remaniée dans la mesure où elle traduisait déjà parfaitement l’esprit des recommandations OCDE en matière de transactions financières intragroupes.
La nouveauté réside dans deux récentes décisions de jurisprudence qui s’alignent parfaitement avec l’esprit de la loi en confirmant qu’un taux d’intérêt supérieur ne pourra désormais être acceptable que s’il est corroboré par une offre indépendante de marché, tenant compte des caractéristiques propres de l’emprunteuse.
Le régime fiscal
L’article 212 I du CGI prévoit deux limites à la déductibilité des intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée :
- (Article 212 I A) Une déductibilité dans la limite du taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans (article 39 1 3° du CGI) ou, s’ils sont supérieurs, d’après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ;
- (Article 212 I B) Lorsque la société prêteuse est établie à l’étranger, l’entreprise débitrice doit démontrer, à la demande de l’administration, que l’entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l’exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices, au moins égal au quart de l’impôt sur les bénéfices qu’elle aurait eu à payer si avait été établie en France.
Sur l’article 212 I A : 2 arrêts
CAA Paris, SAS WB Ambassador, 31 déc. 2018
La cour affirme que pour apprécier la pertinence du taux appliqué au prêt consenti par une entreprise liée, l’emprunteur doit démontrer que ce taux est conforme à celui qu’il aurait pu obtenir non sur les marchés financiers mais auprès d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.
CE 18 mars 2019 n° 411189, SNC Siblu
Le caractère déductible des intérêts pratiqués sur des avances mises à disposition d’entreprises liées doit être déterminé au regard de la situation financière propre de la société emprunteuse et non de son appartenance au groupe.
En effet, une société ne peut pas déduire les intérêts des sommes mises à sa disposition au titre d’avances consenties au sein d’un groupe à un taux supérieur au taux prévu à l’article 39, 1-3° du CGI, dès lors qu’elle n’apporte pas la preuve, exigée par l’article 212, I du CGI, qu’elle aurait pu obtenir un tel taux auprès d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues.
En l’espèce, le taux moyen appliqué au titre des avances litigieuses correspondait exactement aux taux auxquels ont été signés les différents contrats d’emprunt en capital par les sociétés du groupe auprès de l’établissement financier dans le cadre d’une opération de « leverage by out » (LBO). Le Conseil d’État souligne que le taux d’intérêt auquel l’entreprise emprunteuse aurait pu s’endetter auprès d’organismes financiers indépendants doit être apprécié au regard, d’une part, des caractéristiques des prêts et, d’autre part, des caractéristiques propres de cette entreprise et non de celles du groupe de sociétés auquel elle appartient.
Cette jurisprudence va dans le sens de l’administration qui n’admet désormais comme preuve qu’une justification in concreto permettant une comparabilité des taux tenant compte du secteur industriel de l’emprunteuse/de la stratégie d’entreprise/ de la capacité de financement du groupe/des conditions de financement du groupe.
Rappelons que dans le même sens, l’OCDE a publié le 3 juillet 2018 (actions 8/10 rapport BEPS) un projet sur les transactions financières intragroupes. Dans ce cadre, elle rappelle notamment que la justification du taux de financement intragroupe doit être faite par référence à des transactions équivalentes faites entre tiers. L’OCDE rappelle la faible valeur probante des avis écrits provenant de banques indépendantes qui ne constituent pas des offres fermes.
Erreurs à ne pas commettre
Pratiquer un taux d’intérêt d’emprunt entre entreprises liées supérieur à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit, sans l’avoir documenté a priori, comme l’exige la jurisprudence.
Mots clés : taux d’intérêt – emprunts
Auteur : Catherine Roussière, avocat associé, CR avocat