Retour sur un arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 qui répond à la question de la responsabilité de l’expert-comptable quant à l’évaluation des stocks lorsqu’une garantie d’actif/passif a été librement acceptée par les parties à la cession.
De la cession des parts sociales à la mise en cause de l’expert-comptable
Par acte sous seing privé du 9 février 2010 contenant une clause de garantie d’actif et de passif, les consorts M. ont cédé à la société Tesak Holding les parts sociales qu’ils détenaient dans le capital de la société Partner Export, pour le prix de 250 000 euros déterminé à partir du bilan du 30 décembre 2008 et d’une situation bilantielle établie au 30 septembre 2009.
Par un arrêt devenu irrévocable, les consorts M. ont été, en application de la clause de garantie, solidairement condamnés à payer à la société Tesak Holding les sommes de 120 000 euros au titre d’une surévaluation des stocks et de 93 349 euros au titre d’une insuffisance des capitaux propres.
Considérant que leur expert-comptable, la société Compagnie phocéenne d’expertise comptable et fiscale (la société CPECF), avait commis des fautes lors de l’établissement des comptes de la société Partner Export, les consorts M. l’ont assigné en réparation des préjudices subis du fait de leur condamnation.
La société CPECF se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel (Aix en Provence, 5 avr. 2018) qui l’a condamnée à payer aux consorts M., en réparation de leur perte de chance de ne pas voir mis en jeu la clause de garantie d’actif et de passif, les sommes de 84 000 euros au titre de la surévaluation des stocks, outre intérêts, et de 28 004,70 euros au titre de l’insuffisance de capitaux propres. Selon elle, la condamnation du cédant à restituer tout ou partie du prix au cessionnaire, en exécution de la garantie de passif et d’actif qu’il a librement souscrite, ne constitue pas un préjudice réparable.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation donne raison à la société CPECF en cassant l’arrêt d’appel et décide que « les parties à la vente étaient convenues du prix des parts, objets de la cession, en considération de la situation comptable de la société, telle qu’elle avait été retenue pour déterminer les conditions de la garantie d’actif et de passif, de sorte que la condamnation à restituer une partie du prix au cessionnaire en exécution de cette garantie ne constituait pas, en elle-même, un préjudice réparable ».
En pratique
L’importance de l’évaluation des stocks
Lorsqu’un acquéreur achète une entreprise de négoce, il achète aussi un stock de marchandises. Il est donc normal que l’évaluation de ce stock soit à jour et cohérente avec le stock physique.
Les stocks ont un impact important sur le résultat de l’entreprise avec des sources d’erreurs nombreuses (erreurs sur les quantités, sur la propriété -date du transfert de propriété, problème des stocks en dépôt-, sur la méthode d’évaluation).
Les stocks sont donc une variable d’ajustement du résultat et donc du prix de la transmission.
L’inventaire physique contradictoire des stocks devient, dès lors, indispensable au plus près de la date de la cession pour la fixation du prix définitif et, le cas échéant, la mise en œuvre ultérieure de la garantie d’actif et de passif.
Stratégies d’inventaire
L’arrêt de Cour de cassation du 14 octobre 2020 qui libère l’expert-comptable de toute responsabilité sur l’évaluation des stocks lorsqu’une garantie d’actif passif a été librement acceptée par les parties à la cession, met plus que jamais en évidence l’intérêt de mener un inventaire physique de son stock pré-cession.
2 stratégies possibles :
- De préférence, le cédant mène lui-même cet inventaire avec l’aide d’un conseil dédié indépendant, avant que l’acquéreur ne le fasse dans le cadre de son audit d’acquisition. Ainsi, le cédant pourra prendre les décisions qui s’imposent en fonction des résultats de l’inventaire (par exemple, passage de provision pour dépréciation si valeur d’inventaire inferieure au prix de revient).
- Autre possibilité, l’acquéreur bien avisé mènera l’inventaire lui-même s’il en a le temps avec ses conseils. Il saura ainsi faire ressortir les éventuelles incohérences avec les comptes établis, qui seront traduites, actées et assumées dans le prix ou dans la garantie d’actif passif par le cédant.
Le premier scenario est à privilégier dans le cadre de la préparation de son entreprise. Mais dans tous les cas, vendre son entreprise dans le déni de son état d’inventaire est une très mauvaise idée ! Car l’acquéreur pourra faire jouer la garantie et demander au cédant un remboursement du prix de vente de l’entreprise en cas de surélévation du stock révélée post-cession (contrôle fiscal…). Le cédant n’aura guère de chance comme on vient de le voir, de se retourner contre son expert-comptable s’il a accepté une garantie d’actif et de passif.
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Cass. com, 14 oct. 2020, n° 18-17.949
Mots clés : cession, stocks, garantie d’actif, expert-comptable
Auteur : Catherine Roussière, Avocat à la Cour