Attention à l’abus de droit !

De plus en plus pourchassé par l’administration fiscale, l’abus de droit est une notion dont les contours viennent soudainement de s’étendre. Ce qui n’était pas de l’abus de droit hier, pourrait bien le devenir demain.

Enjeu : Etre particulièrement vigilant sur la fiscalité lors de montages, opérations, schémas juridiques, patrimoniaux comptables ou économiques, permet d’éviter le risque de redressement fiscal en présence d’une notion d’abus de droit qui est aujourd’hui plus large qu’hier.

La Loi de finances 2019 prévoit deux nouveaux dispositifs anti-abus au travers des articles L 64 A du LPF et 205 A du Code général des impôts, qui ont vocation à se superposer au traditionnel article L 64 LPF réprimant l’abus de droit en matière fiscale depuis une loi du 13 janvier 1941.

Plus spécifiquement, le nouvel article L 64 A du CGI offre une notion de l’abus de droit plus floue donc plus souple et plus malléable. Grâce à ce nouvel outil législatif, l’administration fiscale pourra plus aisément qualifier un schéma ou une opération d’abusifs et en tirer toutes les conséquences en termes de redressement. Demain, de nouvelles situations qualifiées d’abus de droit vont poindre, et avec elles très certainement un contentieux important.

Parallèlement, il est important de rappeler aux conseils professionnels que la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 prévoit que les personnes qui, dans le cadre de leur activité professionnelle, de conseil notamment, aident leurs clients à se soustraire à leurs obligations fiscales en leur proposant des montages frauduleux ou abusifs seront poursuivies et sanctionnées pour complicité.

En conséquence, le client et son conseil doivent rester vigilants lors de la mise en place d’opérations ou de schémas économiques tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques, et se faire conseiller par un avocat fiscaliste lorsqu’elles ont des doutes sur leurs options.

Problématique fiscale

Le traditionnel article L 64 du LPF (abus de droit par fraude à la loi), permet à l’administration fiscale d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, afin d’en restituer le véritable caractère. Ces actes sont ceux qui poursuivent un objectif exclusivement fiscal, c’est-à-dire l’objectif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales de l’intéressé. Ces actes sont de deux ordres : les actes ayant un caractère fictif (abus de droit par simulation) ou les actes qui recherchent le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. L’article L 64 du LPF concerne tous les impôts

Avec le nouvel article L 64 A du CGI, les actes qui, à compter du 1er janvier 2020, ont un motif principalement fiscal seront aussi susceptibles d’être écartés par l’administration sur le terrain de la fraude à la loi. Cette disposition sera applicable aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021. L‘article L 64 A du CGI concerne aussi tous les impôts.

Le nouvel article 205 A du CGI (qui transpose l’article 6 de la directive UE/2016/1164 du 12 juillet 2016 « directive Atad ») introduit quant à lui depuis le 1er janvier 2019 une clause anti-abus de portée générale permettant à l’administration d’écarter les montages réalisés en fraude à la loi dans un objectif « principalement fiscal » en matière d’Impôt sur les sociétés. Il a donc vocation à s’appliquer à toutes les opérations relevant de l’impôt sur les sociétés, à l’exclusion des opérations de fusion ou assimilées qui restent encadrées par le dispositif qui leur est propre.

En synthèse

Ces deux dispositions ont pour objet d’écarter des « montages » (art. 205 A) ou des « actes » (art. L 64 A) lorsque deux critères cumulatifs sont réunis :

  • d’une part, lorsque ces actes ou montages ont « à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux » (art. 205 A) ou « pour motif principal » (art. L 64 A) « d’obtenir un avantage fiscal » (art. 205 A) ou « d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » (art. L 64 A) ;
  • d’autre part, lorsque ces actes ou montages ont été mis en place « à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable » (art. 205 A) ou « à l’encontre des objectifs poursuivis » par le législateur (art. L 64 A).

En somme, si au sens de l’administration, l’opération n’a pas d’explication commerciale valable reflétant la réalité économique, elle pourrait être comprise comme visant principalement un objectif fiscal et être qualifiée d’abusive.

Nous attendons de voir comment l’administration utilisera ces nouvelles notions dans les prochains contrôles fiscaux. Tout résidera finalement dans ce que l’on entend par un motif « principalement fiscal ». La jurisprudence spécifique à ces articles n’existe pas encore et ne peut donc pas nous éclairer. Il faudra en attendant utiliser la jurisprudence existante sur la justification commerciale des opérations.

Sanctions

L’article L 64 du LPF : l’abus de droit est sanctionné par l’application de l’intérêt de retard (0,20 % par mois de retard), plus une majoration égale à 40 % des droits mis à la charge du contribuable. Cette majoration de 40 % est portée à 80 % lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire.

Avec l’article L 64 A du LPF ou avec l’article 205 A du CGI, cette majoration ne s’applique pas, mais les pénalités de droit commun pour insuffisance de déclaration resteront encourues. En effet, l’administration pourra appliquer les pénalités prévues à l’article 1729, a et c du CGI si elles sont correctement motivées, à savoir (40 % en cas de manquement délibéré ou 80 % en cas de manœuvres frauduleuses).
En échange de l’absence de pénalités spécifiques, le contribuable souffrira d’une absence de garanties de procédure comme l’impossibilité de recourir au comité des abus de droit.

De plus, il est important de noter que si ces deux articles ne peuvent pas être appliqués ensemble, chacun d’entre eux peut être appliqué cumulativement avec l’article général d’abus de droit L 64 du LPF et, de fait, créer un appel d’air aux sanctions prévues par ce dernier.

L’article 205 A permet cependant de faire préalablement une demande de rescrit auprès de l’administration.

Erreurs à ne pas commettre

Conseiller ses clients sur des montages, opérations, schémas juridiques, patrimoniaux comptables ou économiques, sans passer par la case fiscalité.

Les bons reflexes

Un avocat fiscaliste saura revoir votre schéma sous le prisme de ces notions (il maitrise la jurisprudence de l‘article L 64 LPF). Il vous évitera en amont l’écueil du redressement fiscal pour votre client et potentiellement des poursuites pour le professionnel que vous êtes.
L’avocat fiscaliste a l’expérience des contrôles fiscaux. De fait, il sera le premier informé de l’utilisation qui sera faite de ces nouvelles notions par l‘administration et saura identifier la bonne défense lors du contrôle.

Mots clés : abus de droit – contrôle fiscal

Auteur : Catherine Roussière, avocat associé, CR avocat

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