Après une période expérimentale de deux ans jugée concluante, le dispositif d’indemnisation des « aviseurs fiscaux » s’étend et prend place dans le Livre des procédures fiscales.
L’obtention par l’administration fiscale de renseignements émanant de personnes étrangères aux administrations publiques (« aviseurs fiscaux » ou « lanceurs d’alerte ») peut donner lieu à indemnisation des intéressés lorsque ces informations sont adressées de façon spontanéeet non anonymeset décrivent avec précisions des comportements frauduleux.
Mis en place dès 2017, ce principe d’indemnisation des aviseurs fiscaux a été étendu aux opérations de fraude à la TVA par la Loi de finances pour 2020 (art. 175) et codifié sous l’article L. 10‑0 AC du Livre des procédures fiscales.
Pourquoi une indemnisation des lanceurs d’alerte ?
La collecte des informations est un enjeu majeur de la lutte contre la fraude fiscale, notamment dans sa dimension internationale. La complexité et la sophistication de la fraude, nécessite, selon l’administration fiscale, de pouvoir recueillir de telles informations et d’indemniser la personne eu égard aux risques qu’elle prend. Avec le dispositif de rémunération des informateurs, l’administration fiscale se donne une carte supplémentaire pour améliorer l’efficacité de son action.
De nombreux pays européens rémunèrent déjà les lanceurs d’alerte. La France leur emboite le pas. Ainsi, les services de police, de gendarmerie et de la douane judiciaire et ceux de la direction générale des douanes et droits indirects, disposent d’un cadre juridique de rétribution.
Rappelons que dans ce dispositif de rémunération de l’informateur, les informations fournies doivent être susceptibles d’entrainer un début d’enquête permettant de les corroborer et de vérifier la véracité des faits allégués, afin d’identifier le procédé de fraude et les enjeux fiscaux.
Quelques étapes
Loi n°2016-1917 du 29 décembre 2016 (art. 109) : prévoit l’indemnisation des lanceurs d’alerte de fraude internationale de façon temporaire et à titre expérimental
Décret d’application n° 2017-601 du 21 avril 2017
Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (art. 21) : pérennise et étend le dispositif
Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 (art. 175) : étend et codifie le dispositif sous le nouvel articleL10-0 AC du LPF (Livre des procédures fiscales).
→ applicable depuis le 1er janvier 2020
Domaine d’application
La rémunération des aviseurs fiscaux est prévue à l’article L 10-0 AC du Livre des procédures fiscales pour les renseignements relatifs aux manquements constatés dans les domaines suivants :
- règles de domiciliation des personnes physiques ;
- territorialité de l’impôt sur les sociétés ;
- non déductibilité des commissions à l’exportation au profit d’un agent public ;
- dispositifs destinés à lutter contre l’évasion fiscale internationale ;
- règles d’imposition à la TVA ;
- obligations déclaratives afférentes aux avoirs détenus à l’étranger et à ceux détenus dans des trusts.
À titre expérimental et pour une durée de deux ans, l’article L 10-0 AC du LPF prévoit une généralisation de l’indemnisation pour les informations relatives :
- à la découverte d’une activité occulte (CGI art. 1728, 1-c) ;
- à l’absence, l’inexactitude ou l’omission de déclaration des comptes, contrats de capitalisation et trusts détenus à l’étranger par des résidents de France (CGI art. 1728, 5, 1729-0 A, 1736, IV et IV bis, 1766) ;
- au manquement délibéré, abus de droit, manœuvres frauduleuses ou dissimulation de prix (CGI art. 1729);
- aux infractions aux règles de facturation (CGI art. 1737, I) ;
- au non-respect des règles relatives aux transferts de fonds vers ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire de comptes bancaires ou de contrats de capitalisation non déclarés par des résidents de France (CGI art. 1758, al. 1) ;
- au non-respect des obligations énoncées à l’article L 152-1 du Code monétaire et financierrelatives aux transferts de fonds vers ou en provenance de l’étranger (CGI art. 1758, al. 2) ;
- au non-respect des règles relatives à l’imposition des transferts d’actifs hors de France prévues à l’article 238 bis-0 I, al. 7 du Code général des impôts (CGI art. 1758, al. 3) ;
- à la présomption de revenus lorsque les contribuables ont commis certaines infractions visées par l’article 1649 quater-0 B bis du CGI (CGI art. 1758, al. 4).
Cette généralisation de l’indemnisation s’applique uniquement lorsque le montant des droits éludés excède 100 000 €.
L’administration fiscale peut recevoir et exploiter ces renseignements dans le cadre des procédures de contrôle (prévues au titre II de la partie législative du LPF), mais ne peut pas les exploiter dans le cadre de visites domiciliaires (perquisitions fiscales – LPF, art. L 16 B) en cas d’obtention irrégulière de ces renseignements par la personne qui les a transmis à l’administration.
Conditions de rémunération
Un décret 2017-601 du 21 avril 2017, autorise la direction générale des finances publiques à mettre en œuvre cette procédure.Un arrêté du même jour en définit les modalités d’application :
- la décision d’attribution de l’indemnité est prise par le directeur général des finances publiques, qui en fixe le montant, sur proposition du directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales, par référence aux montants estimés des impôts éludés ;
- la mise à disposition des fonds est effectuée par le comptable assignataire désigné par le ministre chargé du budget ;
- la direction nationale d’enquêtes fiscales conserve, de façon confidentielle, les pièces permettant d’établir l’identité de l’aviseur, la date, le montant et les modalités de versement de l’indemnité.
[ Question pratique]
L’aviseur fiscal est-il tenu de réserver la primeur des informations à l’administration ?
(TA Montreuil 5-3-2020 n° 1808248)
La réponse est non, d’après un arrêt récent du Tribunal administratif de Montreuil qui estime que l’administration ne peut pas refuser d’indemniser un informateur au seul motif que les renseignements qu’elle a reçus de sa part ont également été transmis à la presse et à la justice.
En effet, le juge estime que la décision de l’administration refusant une indemnisation à un informateur ne peut être justifiée par le fait que les renseignements reçuspar l’administration dans des courriers sont postérieurs à la publication d’articles de presse révélant les mêmes faits, dès lors que les renseignements fournis par l’informateur à l’administration étaient beaucoup plus détaillés et étayés de preuves.
Le juge estime également que pour refuser légitimement l’indemnisation sur ce motif, l’administration aurait dû établir qu’elle aurait découvert sur la seule base des articles de presse les manquements dénoncés par l’informateur.
Il juge aussi que le fait que l’informateur ait déjà transmis certaines informations au procureur de la Républiquene fait pas obstacle à ce qu’il puisse spontanément les transmettre ou en transmettre d’autres à l’administration fiscale au titre du dispositif des aviseurs fiscaux, et que pour refuser légitimement l’indemnisation sur ce motif, l’administration aurait dû établir qu’elle aurait eu à sa disposition ces renseignements par transmission du Parquet avant la transmission par l’informateur.
→ A noter : Le tribunal administratif de Montreuil se prononce également sur la possibilité même de recours contre la décision de refus d’indemnisation, jugeant que celle-ci peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Mots clés : fraude fiscale, aviseur fiscal, LPF 2020
Auteur : Catherine Roussière, avocat à la Cour